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Le tempo du développement cérébral

Pourquoi certaines régions du cerveau grandissent-elles plus que d’autres? Une récente découverte du laboratoire de Denis Jabaudon montre que les mitochondries – centrales énergétiques de nos cellules – influencent le rythme auquel naissent les neurones. Et ce rythme n’est pas anodin, il pourrait être impliqué dans les mécanismes de troubles psychiatriques.
 © Centre Synapsy de recherche en neurosciences pour la santé mentale

Denis Jabaudon, professeur et directeur du Département de neurosciences fondamentales à la Faculté de médecine de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Genève et membre du Centre Synapsy de recherche en neurosciences pour la santé mentale, dirige un laboratoire explorant les mécanismes génétiques qui orchestrent la genèse des neurones et leur intégration en circuits fonctionnels au cours du développement. «Étudier la neurogenèse est un enjeu fondamental», explique Denis Jabaudon, «car, à la différence des autres cellules de l’organisme, les neurones produits durant le développement sont destinés à nous accompagner toute notre vie.» Toute altération survenant à cette étape critique peut ainsi avoir des répercussions durables, voire irréversibles.

Mais un nouvel axe de recherche s’est récemment imposé: le tempo du développement cérébral. En cartographiant la naissance des neurones chez la souris, son équipe a mis en évidence un facteur jusque-là peu exploré dans la formation du cerveau: le rôle des mitochondries dans la régulation de la neurogenèse au cours du temps.

Les premiers pas du système nerveux

Le développement embryonnaire est le résultat de la prolifération de cellules souches, qui ont la capacité de se diviser pour donner naissance à d’autres types de cellules plus spécialisées, comme les neurones ou les cellules gliales. Chez les mammifères, les cellules progénitrices destinées à former les structures cérébrales s’organisent initialement en trois vésicules morphologiquement semblables: le prosencéphale, le mésencéphale et le rhombencéphale. Pourtant ces structures au départ homogènes donnent naissance à des régions cérébrales de tailles très différentes. Le prosencéphale est la région qui grandit le plus, donnant naissance au cortex cérébral, une structure essentielle à notre espèce qui est à l’origine de notre perception consciente du monde qui nous entoure.

En retraçant l’évolution temporelle des cellules progénitrices dans ces trois vésicules, l’équipe de Denis Jabaudon a observé que, malgré un départ commun au développement des trois vésicules, le rhombencéphale se caractérise par une division cellulaire des progéniteurs résultant majoritairement en deux neurones. La neurogenèse s’y fait donc de manière brève et intense. À l’inverse, dans le prosencéphale, les progéniteurs se divisent plus souvent en un progéniteur et un neurone, permettant de maintenir un réservoir de cellules progénitrices sur la durée.

Les mitochondries, cheffes d’orchestre de la neurogenèse

Afin de comprendre d’où vient cette différence, le laboratoire s’est intéressé au profil génétique des cellules progénitrices issues des trois vésicules cérébrales. Dans les régions où la neurogenèse s’étend sur une longue période, cette analyse a révélé une forte expression de FAM210B, une protéine mitochondriale gérant le fonctionnement énergétique des cellules. Afin de s’assurer du lien entre gène et observation, l’équipe de Denis Jabaudon a inhibé FAM210B in vivo dans ces régions. La neurogenèse s’y est accélérée et la production totale de neurones a diminué. Au contraire, l’activation de ce gène dans les régions où il n’est généralement pas exprimé a mené à une neurogenèse plus longue et une quantité de neurones plus grande que prévu.

Denis Jabaudon explique: «Le gène FAM210B modifie le métabolisme engendré par les mitochondries. Les mitochondries qui l’expriment sont associées à un fonctionnement énergétique plus lent, qui produit plus de lactate. Or, ce type de métabolisme favorise les divisions produisant une à deux cellules progénitrices.» Ce mécanisme maintient donc le réservoir de cellules progénitrices et favorise une production neuronale plus conséquente.

Un risque de cacophonie

Ces résultats soulignent toutefois une vulnérabilité méconnue du cerveau: son besoin de respecter le rythme propre à chaque région pour bien se développer. Un décalage – même minime – peut entraîner un déséquilibre dans la formation des régions cérébrales et leurs connexions. Pour Denis Jabaudon, c’est là que ces travaux rejoignent la thématique de recherche de son laboratoire: comprendre comment les neurones s’organisent en circuits cohérents. «Le cerveau ne peut pas se contenter de fabriquer les bons neurones, explique-t-il. Il doit aussi les produire au bon moment, pour que les connexions s’établissent avec précision.»

Des perturbations de ce tempo pourraient expliquer certaines formes de troubles psychiatriques, où les circuits cérébraux semblent intacts mais fonctionnent de manière désorganisée. Cette découverte ouvre ainsi une nouvelle piste: et si ces troubles naissaient d’une cacophonie temporelle plus que d’un défaut de structure?

10 juin 2025

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