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Pourquoi reconnaît-on visuellement un objet qu’on a seulement touché?

Une équipe de l’UNIGE a identifié une région clé du cerveau qui abstrait les informations spatiales des sens, mettant en lumière un pilier fondamental de l’intelligence.

© Sami El-Boustani. Cette souris se tient entre des lumières rouges et bleues représentant les parties inférieures et supérieures de l'espace qui l'entoure, là où le toucher et la vision convergent.

Comment reconnaît-on un objet par la vue après l’avoir seulement touché, et inversement? Cette capacité vient de l’aptitude d’abstraction du cerveau, capable de transférer des connaissances d’un sens à un autre, comme ici du toucher à la vue. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a identifié une zone cérébrale spécifique où se croisent les informations tactiles et visuelles. Ces résultats éclairent ce mécanisme encore mal compris et pourraient déboucher sur des applications médicales et en intelligence artificielle. Ils sont publiés dans .

Le cerveau possède une remarquable capacité d’abstraction. Elle nous permet, par exemple, de reconnaître un objet dans l’obscurité totale, uniquement par le toucher, même après l’avoir toujours identifié par la vue, et inversement. Cette aptitude à transférer un apprentissage - ou une représentation - d’un sens à un autre constitue l’un des piliers de l’intelligence. On la retrouve chez de nombreux animaux et même chez certains insectes. Les mécanismes cérébraux qui en sont à l’origine restent cependant mal connus.

Ces résultats ouvrent des pistes prometteuses en médecine et en intelligence artificielle.

Des travaux récents menés chez la souris par une équipe de l’UNIGE rapportent de nouvelles avancées. Ils ont permis de localiser les zones du cortex où se combinent les informations tactiles et visuelles. Ces régions joueraient un rôle central dans la généralisation sensorielle. En particulier l’aire rostro-latérale (RL), située dans la région dorsale du cortex, qui semble indispensable pour cette capacité cognitive.


Chez la souris aussi

Pour parvenir à ce résultat, les scientifiques ont tout d’abord entraîné des souris à faire la différence entre une stimulation tactile venant du haut ou du bas, perçue via leurs moustaches ou «vibrisses». Si la vibrisse du bas était stimulée, les souris devaient lécher un tube qui leur prodiguait une récompense. Si c’était celle du haut, rien ne se passait. «Au bout d’une semaine, elles avaient très bien intégré la règle», indique Sami El-Boustani, professeur assistant au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux.

Puis, pour tester la capacité de généralisation des rongeurs, l’équipe a remplacé les stimuli tactiles par des stimuli visuels, soit une ombre traversant le champ de vision par le haut ou par le bas. «Nous avons alors constaté que les souris s’adaptaient très bien à ce changement de modalité sensorielle et répondaient toujours au stimulus venant du bas. La tâche attendue était toujours correctement exécutée», explique Maëlle Guyoton, post-doctorante au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et co-première auteure de l’étude.


Des applications prometteuses

C’est en cartographiant l’activité cérébrale de ces souris à la résolution d’une seule cellule que l’équipe a découvert les zones spécifiques combinant le toucher et la vision, dont l’aire RL. En l’inactivant, elle a observé que les souris perdaient leur capacité à généraliser, tout en restant capables d’apprendre et de réaliser des tâches n’utilisant qu’un seul sens. À l’inverse, en stimulant optiquement l’aire RL, les scientifiques ont pu induire la généralisation.

«L’aire RL est donc une zone clé du cerveau : elle permet à la souris de comprendre que ce qu’elle a perçu avec ses moustaches dans le noir correspond à ce qu’elle voit maintenant en pleine lumière», explique Giulio Matteucci, post-doctorant au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et co-premier auteur de l’étude.

Ces résultats ouvrent des pistes prometteuses en médecine — une meilleure compréhension de ces circuits pourrait éclairer la recherche sur les troubles sensoriels — mais aussi dans le domaine de l’intelligence artificielle, où les systèmes doivent apprendre à intégrer des données variées, qu’il s’agisse de texte, d’image ou de son.

26 mai 2025

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