In memoriam Albert de Pury (1940-2025)
En mémoire d’Albert de Pury (1940 – 2025)
Le Professeur Albert de Pury nous a quittés le 5 juin 2025. Par sa personnalité attachante, sa profonde humanité, ses impressionnantes capacités intellectuelles, sa vaste érudition, son incessante curiosité et sa passion pour ses objets d’études, il a profondément marqué les collaborateurs et les collaboratrices de notre Faculté ainsi que les générations estudiantines qui ont eu la chance de le côtoyer. Nombreux se souviennent de la qualité et de la précision de ses enseignements, mais aussi de son souci permanent d’entrer en dialogue et de prendre en compte les préoccupations des étudiantes et des étudiants. Il a enrichi ses enseignements bibliques en organisant à plusieurs reprises des voyages en Israël, dans les territoires palestiniens, en Jordanie, au Liban et en Syrie où les participants bénéficiaient de sa connaissance impressionnante de la géographie, de l’histoire et de l’archéologie des sites visités. En outre, ses qualités de chercheurs en Ancien Testament ont été exceptionnelles et internationalement reconnues. Il a reçu deux doctorats honoris causa, l’un de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Budapest et l’autre de celle de Zurich.
Albert de Pury est né en 1940. Il a effectué ses études de théologie à Bâle, à Neuchâtel et à l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Après avoir achevé sa thèse de doctorat et enseigné l’hébreu biblique à l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Neuchâtel, il y a été nommé professeur d’Ancien Testament, poste qu’il y a occupé de 1972 à 1984. Il a ensuite rejoint la Faculté de théologie de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Genève où il occupa ce même poste jusqu’en 2005. Durant les deux dernières années de sa carrière, il a occupé la fonction de doyen de la Faculté. Après une leçon d’adieu remarquée qui portait le titre de « », il a pris sa retraite et a été nommé professeur honoraire.
Albert de Pury s’est intéressé, durant toute sa carrière scientifique, au Pentateuque, la Torah attribuée à Moïse. Ses travaux ont permis de mieux comprendre le contexte historique dans lequel ce corpus a été produit, les processus d’écriture qui ont abouti à cette composition littéraire et les conceptions théologiques et religieuses qui y sont exprimées.
Sa thèse de doctorat, publiée en 1975, portait sur la composition du cycle de Jacob (Promesse divine et légende cultuelle dans le cycle de Jacob. Genèse 28 et les traditions patriarcales, Paris, Gabalda, 1975). À partir d’une étude détaillée de l’épisode fameux du songe de Jacob, il a notamment montré que le cycle jacobien a d’emblée été transmis sous la forme d’une épopée cohérente. C’est certainement cette première recherche majeure qui l’a préparé à devenir une figure clé du débat exégétique qui, entamé durant la dernière partie des années 70, a abouti à l’effondrement de la théorie des quatre documents et au développement de modèles alternatifs permettant de mieux expliquer le processus compositionnel de la première partie de la Bible. Il a notamment été à l’origine du fameux volume Le Pentateuque en question (Genève, Labor et Fides, 1989) qui a permis de populariser dans le monde francophone ce débat exégétique. Durant cette même période, désormais promoteur des nouveaux modèles émergents, il a développé une réflexion originale à propos du cycle de Jacob qui, selon lui, représentait une tradition israélite d’origine autochtone, dans une large mesure distincte et concurrente à celle, exodique, associée à la figure de Moïse. Il a souligné que cette distinction se retrouve dans un texte prophétique comme celui véhiculé au douzième chapitre du livre d’Osée.
La suite de ses recherches l’a conduit à s’interroger sur la nature et le contenu du document sacerdotal auquel il a consacré de nombreux articles. Selon Albert de Pury, c’est ce document qui aurait pour la première fois fait une synthèse entre les traditions associées aux patriarches (Abraham et Jacob en particulier) et les traditions sur Moïse et l’exode. Il a aussi montré l’importance que revêt, dans le document sacerdotal, l’histoire d’Abraham. Ce personnage y est pensé comme une figure patriarcale de type « œcuménique », car reconnue comme ancêtre par différents milieux sociaux et religieux. Pour Albert de Pury, le partage d’une figure ancestrale fut, aux temps bibliques, de nature à permettre une cohabitation pacifiée entre les populations du Levant.
Derrière cet intérêt pour la figure d’Abraham se dévoilent les préoccupations sur le monde contemporain qui ont traversé la vie de l’homme de conviction que fut Albert de Pury. Pour lui, l’analyse des textes religieux fondateurs se devait d’être au service du dialogue et de la paix ce qui l’a conduit à s’impliquer dans le dialogue interreligieux entre christianisme, judaïsme et islam. En témoignent ses publications comme Juifs, chrétiens, musulmans. Que pensent les uns des autres ? (Genève, Labor et Fides, 2004) et son engagement dans la Fondation Racines et Sources. Il fut convaincu sa vie durant que les questions territoriales au Levant ne devraient pas se régler par la haine et par la force, mais par une discussion respectueuse, franche et ouverte et que l’examen des traditions fondatrices des grands monothéismes pouvait ouvrir des perspectives originales et fructueuses.
Dans ses travaux, Albert de Pury, s’est également intéressé à la constitution du corpus tripartite de la Bible hébraïque, c’est ainsi qu’il a défendu l’idée, souvent reprise aujourd’hui, que les ketoubim, la troisième partie de la Bible hébraïque, a été formée à l’époque hellénistique afin de constituer une sorte d’anthologie de la littérature juive.
Son engagement en faveur de la recherche académique institutionnelle ne s’est pas seulement manifesté dans ses activités administratives au sein de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Neuchâtel puis de Genève. Il a aussi dirigé le Centre d’études du Proche-Orient ancien (CEPOA) et s’est beaucoup engagé au sein de l’Académie suisse des sciences humaines.
Pour clore ces lignes d’hommage, mentionnons que tous ceux qui ont connu Albert de Pury ont apprécié son humour subtil et le regard tendre et amusé qu’il a porté sur les grands thèmes religieux ainsi que sur les petits travers des hommes. Il fut un caricaturiste de talent, qui a publié de remarquables recueils de dessins comme Big Bang et Oh, pardon! (Labor et Fides). Peu avant son décès, il a encore publié, avec Anne son épouse et son grand amour, un dernier volume de cartoons originellement parus dans le « Kirchenbote » des églises protestantes suisses alémaniques. Son titre sonne à mes oreilles comme un dernier clin d’œil du collègue et de l’ami : Welcome to Paradise.
Jean-Daniel Macchi
10 juin 2025